On entre dans la pièce et les regards se posent sur nous. Les regards se posent toujours sur nous. Sur elle surtout. Faut dire qu'elle aime ça, qu'elle en demande de l'admiration, de la convoitise, du désir. Elle est belle Charlie. Pas comme une poupée Barbie ou une princesse de pacotille. Non Charlie, elle est belle de cette beauté un peu sauvage que les autres rêvent de mettre en cache. Être celui qui la domptera, celui qui lui fera ranger les crocs. Mais ce mec là est pas encore né et ça me fait marrer de les voir essayer. Elle en joue Charlie. Toujours. Elle les laisse approcher comme des insectes vers la lumière. Elle leur offre des sourires, des moqueries et des éclats de rire. Parfois, à certain, elle offre même un peu plus que ça. Mais jamais pour très longtemps. Elle finit toujours par repartir et eux reviennent la voir espérant plus encore et encore. Mais elle ne leur appartiendra jamais. Moi aussi on me regarde. Mais ici, où tout le monde connaît tout le monde, on sait qu'il vaut mieux tenter Charlie. Parce que là où elle rayonne moi je fais un peu peur. J'ai pas ses sourires, ni son apparente gentillesse. Moi je mords et ils le savent. On se dirige d'un même pas vers le bar, fendant la foule, ignorant le monde. On commande un whisky coca chacune et on s'en va rejoindre le petit groupe qui nous attend un peu plus loin. On s'assoit parmi eux, prenant place comme si l'espace nous appartenait, et ils nous laissent faire, habitués sans doute à nos allures de diva. Faut dire que c'est toujours un peu la même chose par ici, on sort plus souvent qu'à notre tour, on boit, on danse, on parle, toujours les même gens, toujours les mêmes habitudes. Les conversations fusent dans tous les sens, on en attrape au passage, en laisse d'autre s'envoler. Dean est à ma droite et je me lance avec lui dans un jeu à la con, essayant d'envoyer un pièce voler dans son verre. Du coin de l’œil je vois Charlie qui s'éloigne un peu pour aller parler à un mec que je ne connais que de vu et qui ne m'intéresse pas le moins du monde. Elle joue avec ses cheveux, sourit, rit, et je sais que sous ses airs affables elle s'amuse à lui lancer des piques. Je me désintéresse d'elle pour me reconcentrer sur Dean, elle reviendra quand elle voudra revenir. Du coin de l’œil, je vois Selina qui s'avance vers nous et je ne peux pas m'empêcher d'afficher un rictus qui disparaît avant que quiconque ne le remarque. Elle salut la foule et je l'ignore superbement en espérant qu'elle aille s'asseoir à l'autre bout du groupe. Mais bien sûr c'est Dean qu'elle vient voir. Et je lève les yeux au ciel en signe d'exaspération. Et lui bien sur lui sourit et lui propose de se joindre au jeu. NOTRE jeu. Je tente de garder bonne figure mais déjà cela ne m'intéresse plus. Je lance la pièce une fois, deux fois, puis laisse tomber, les plantant là tous les deux. Et tous les autres. Je m'en vais trouver Charlie et son bellâtre qui ne semble plus vraiment la divertir autant qu'elle le voudrait. Elle me voit avancer dans sa direction et un sourire vient fleurir sur son visage. Je viens me caler à ses côtés sans que son compagnon du moment ne daigne m'adresse plus qu'un regard, bien trop occupé qu'il est à essayer de charmer Charlie. Mais elle n'a plus d'yeux que pour moi. « Ouais, ouais, super, c'est cool... » Elle lui lâche ça de tout son dédain accompagné d'un vague signe de la main. « Sam t'entends ce que j'entends ? » Ses yeux pétillent de bonheur. Je tends l'oreille pour percevoir au dessus du bruit des conversations la musique qui sort de enceintes.  Et je reconnais le son. Je laisse échapper un éclat de rire et lui attrape la main pour l'entraîner derrière moi. C'est notre musique. On fait place autour de nous, forçant les gens à s'écarter et on commence à danser comme des possédées. Et voilà que le mec de tout à l'heure nous rejoint, essayant de se glisser entre moi et Charlie, lui attrapant la hanche, tentant une danse collé-serré. Elle se retourne vers lui avec fureur et le repousse du plat de la main. « Tu fais quoi là ? Casses-toi mec ! » Il la regarde sans comprendre. Et je ris de plus belle. Et Charlie déjà ne s'occupe plus de lui. C'est notre danse, notre moment. Juste nous deux. Les autres peuvent bien disparaître, ça ne nous fait ni chaud ni froid. Charlie elle ne sera jamais à eux.

Il y a eu Dean et puis il y a eu Charlie. Si Dean est mon jumeau, celui qui me complète, Charlie elle est celle qui me reflète. On est pareille toutes les deux. Ou presque. Et d'aussi loin que je me souvienne, on a toujours été fourré ensemble. Gamine, on se ressemblait comme pas possible, à croire qu'avec elle aussi j'avais partagé un utérus. Et puis bien sûr en grandissant on a perdu nos traits d'enfants et notre ressemblance troublante. Mais juste physiquement. Parce que Charlie et moi on pense pareille. On est les même. Elle me connaît par cœur. C'est elle qui m'aide à tenir dans se trou. On rêve ensemble au moment où on pourra foutre le camp. On boit, on fume, on rit, on a les mêmes délires, les mêmes envies. Elle est peut-être un peu plus blasée quand moi je suis révoltée mais ça change pas grand chose dans le fond. On est toujours ensemble toutes les deux. Dans tous les coups pourris, dans toutes les conneries. Unies comme les doigts de la main. Je ferrais tout pour cette fille. Et je sais que c'est réciproque. Charlie c'est cette personne qui vous complète et j'ai eu la chance de la trouver dans le bac à sable. Charlie c'est l'évidence, là où pour d'autre c'était pas gagné d'avance.