« Magnolia ?! Ça fait plaisir de te voir ! Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? » Ce n’était pas tous les clients que j’accueillais ainsi. En fait, il était plutôt rare que j’accueillais les clients dans la pâtisserie, étant souvent relégué à l’arrière-boutique pour préparer ce qui serait sur les présentoirs, ou bien une commande que le client viendrait chercher plus tard, ou bien qu’un autre employé devrait livrer à un lieu donné. Franchement, ce n’était pas le genre de chose qui me gênait. Déjà que je me considérais chanceux d’avoir un emploi, vu la situation dans laquelle j’étais il y a pas plus tard qu’un an et demi auparavant, si je me devais de passer la journée enfermée dans le même endroit – tant que ce lieu avait des fenêtres – je le faisais sans rechigner, tentant, bien sûr, de faire mon boulot aussi bien que possible. Cependant, il arrivait des fois où je me devais de me rendre à l’avant, bien souvent le temps de déposer quelques pâtisseries fraichement préparées dans le présentoir, ou bien parce que quelqu’un demandait de l’aide et que je pouvais me permettre de donner un coup de main. Cette fois-ci, ce fut ni l’une, ni l’autre de ces situations, ou presque. En effet, quelques minutes auparavant, j’étais venu mettre quelques pâtisseries à l’avant, prenant mon temps pour les disposer le mieux possible afin d’épargner du travail à ceux qui travaillaient dans la boutique directement. Ce n’était pas mon genre de m’imposer de la sorte ou de prendre des initiatives comme cela, mais depuis quelque temps, je me sentais probablement plus vivant que jamais, d’où le fait que je ne sentais plus que ma présence était quelque chose qui pouvait être dérangeant. Évidemment, je ne commençais pas non plus à hurler sur tous les toits en chantant pour déranger tout le monde, mais je me sentais un peu mieux, me sentant beaucoup moins obligé d’être discret. Cependant, après avoir déposé ces pâtisseries, je pouvais me permettre de prendre une pause, ce qui expliqua pourquoi je ne retournai pas directement à l’arrière, et ce qui expliqua surtout pourquoi je pus assister à l’arrivée de mon amie dans le petit commerce et que je fus en mesure de l’accueillir avec un large sourire, sincèrement heureux de la voir et ce, peu importe si elle était venue pour me voir moi, ou bien pour venir acheter une pâtisserie quelconque. Ça, je le saurais, je l’espérais, sous peu, dès que j’obtiendrais sa réponse que j’attendis toujours avec ce même sourire, ce genre de sourire que je n’avais pas eu depuis fort longtemps maintenant, probablement jamais devant la jeune femme même, si je me souvenais bien.

Je ne fus pas vexé d’entendre Magnolia me demander deux éclairs à la vanille, bien que cela me confirma qu’elle n’était probablement pas là pour moi, mais tout simplement parce qu’elle avait envie d’une pâtisserie. Après tout, une envie pouvait lui prendre quand elle le souhaitait, et cela aurait très bien pu survenir alors que je ne travaillais pas, sans parler du fait que je ne pensais pas avoir donné mon emploi du temps à la demoiselle, même si cela ne me gênerait pas de lui dire quand j’avais congé ou pas si elle me le demandait. Sans perdre mon enthousiasme, je lui rendis sa bise, et je lui dis : « Évidemment que j’ai ça pour toi; je viens tout juste de les préparer, en plus. » avant de contourner le comptoir à nouveau pour me rendre dans le présentoir, attraper un morceau de papier ciré pour prendre les deux éclairs, et les déposer dans une assiette propre en attendant. Une fois que je me relevai, Magnolia me demanda comment j’allais. Avec le sourire, je lui répondis : « Bah écoute, ça va très bien ! », mais je ne lui rendis pas la question, sachant plus que quiconque ce qui s’était passé dans sa vie, et sachant surtout que cette question était des plus délicates pour elle. Cependant, cela ne voulait pas dire que je ne voulais pas prendre de ses nouvelles, bien au contraire. En revanche, je ne voulais pas le faire en lui demandant simplement comment elle allait. Elle méritait que je sois un peu plus présent, et je comptais bien le faire autant que possible. C’est ce qui expliqua pourquoi, après être revenu vers la caisse, je lui demandai, candidement : « Tu veux les manger ici, ou c’est pour emporter ? » Enfin, cela ne menait pas à grand-chose, je le savais parfaitement, mais ce n’était là qu’un préambule à ce que j’allais lui demander par la suite, à savoir : « Si tu as un peu de temps, je vais bientôt prendre ma pause. On peut discuter un peu, si tu veux… », lui souriant doucement pour lui montrer que je ne voulais pas la forcer en rien, mais que je serais certainement de passer ne serait-ce que quelques minutes avec elle, le temps qu’elle mange un de ses éclairs, ou même les deux, si elle le souhaitait.

Je ne pus m’empêcher de rire doucement au moment où Magnolia m’avoua être venue ici parce qu’elle n’avait plus rien à manger chez elle. Peut-être n’était-ce pas la meilleure des choses, mais cela me faisait plaisir quand même, parce que non seulement, j’avais l’occasion de la voir, mais de plus, j’avais une opportunité de l’aider de nouveau et ça, rien ne pouvait me faire plus plaisir que de lui venir en aide, peu importe comment je m’y prenais pour le faire. Bien sûr, il n’en demeurait pas moins que je gardais quand même une certaine retenue par rapport à certaines choses, notamment lorsque venait le temps de lui demander comment elle allait. Effectivement, il s’agissait d’une question particulièrement délicate pour elle, d’où le fait que je jugeai plus approprié de ne pas lui poser, comme je jugeai préférable de ne pas avoir de réaction confuse quelconque au moment où elle changea brusquement de sujet en me disant que les affaires semblaient bien aller. À cette affirmation, je me contentai de répondre, dans un haussement d’épaules : « La meilleure, je ne sais pas, mais disons qu’on fait notre possible pour que ça marche. » Dans ce « on », j’incluais bien sûr les personnes plus importantes que moi dans le commerce, entre autres la propriétaire et ceux qui l’accompagnaient. Pour ma part, je ne prenais pas vraiment part à une potentielle compétition avec d’autres commerces, me contentant de faire mon boulot du mieux que je le pouvais, me considérant plus que chanceux de l’avoir trouvé et m’être sorti de l’enfer dans lequel j’avais été plongé pendant tant d’années. Sachant que je n’étais pas apte à tenir une discussion sur le succès du commerce, je préférai proposer à mon amie de rester un peu en ma compagnie, ce qu’elle finit par accepter, à condition que je sois en mesure de prendre une pause. Puisque j’y avais droit dès maintenant et que la boulangerie était plus que tranquille, je ne me gênai pas pour lui dire : « Pour toi, j’ai tout mon temps. ». Afin de lui prouver la véracité de mes propos, je retirai mon tablier et je contournai le comptoir avec l’assiette contenant les éclairs de mon amie. Bien sûr, il manquait une étape dans tout ce processus, mais je réglai rapidement la question en lui disant : « Et les éclairs, c’est pour moi. », la gratifiant d’un petit sourire avant de prendre place à une table tout en invitant mon amie à faire de même. Quelques secondes plus tard, je répondis à la question qu’elle me posa en affirmant : « Oh et bien, rien de spécial. », m’efforçant de rendre ma réponse la plus naturelle possible, puisqu’en fait, il y avait quelque chose de spécial qui était arrivé, mais je ne voulais pas en parler à Magnolia, pas pour le moment, parce que je craignais de remuer le couteau dans la plaie, et c’était la dernière chose que je voulais. Puis, peu de temps après, je lui demandai : « Et toi alors ? », réellement soucieux du bien-être de mon amie et curieux de savoir ce qui avait pu se passer dans sa vie depuis la dernière fois que nous nous étions parlés.