Tic. Tac. Tic. Tac… « AAAAAAAAAAAAAAAH ! » Je souffle. J'ai dû mal à respirer. Je regarde la pièce. Rien. Je ne reconnais rien. Je ne sais pas où je suis. Mes yeux se perdent dans cette pièce. La lumière m'éblouit, me déchirant la rétine au passage. Eux. Je sais que c'est eux. « Charly ! » Des bras se posent sur les miens. J'ai toujours du mal à comprendre où je suis. « Il a encore fait un cauchemars. Va me chercher une serviette. » Elle passe sa main sur mon front, je sais que je suis brûlant. Mes yeux se posent sur elle. Je me dégage aussitôt. « Charly ça va aller. » Je me recroqueville sur moi même. Non ça ne va pas aller. Rien ne va aller. Les pas reviennent, elle s'avance vers moi, elle souhaite m'aider, je le vois dans ses yeux. Seulement je ne veux pas. Elle n'est pas celle que je veux. Je ne veux pas être là. Je les veux près de moi. Elle finit par me laisser. Laissant la lumière, moins forte, histoire que je retrouve mon sommeil. Mon regard se pose sur la fenêtre. Cette ville, elle n'est pas mienne. Ce n'est pas là que j'ai grandi. Ce n'est pas là que je suis né. Ce n'est pas là que je veux être. Spring Garden, un nom qui sortait de sa bouche, un nom qui lui rappelait tant de souvenir. Pas les miens. Les siens. Ceux de mon père. « Il est encore tout chamboulé, il faut que tu lui laisses du temps. » J'entends leurs voix, les conversations qu'ils tentent de me cacher depuis mon arrivée. Deux ans qu'ils se battent pour obtenir ma garde, comme ils aiment le dire. Deux ans qu'ils ont tout fait pour me sauver de cet enfer. Personne ne m'a demandé mon avis. Personne ne m'a demandé ce que je voulais vraiment. Je ne veux pas être là. Je ne voulais pas être dans ces centres ou dans ces familles d’accueils. Ce que je voulais moi, c'était eux. Je veux retrouver ma vie d'avant. Je veux que ma mère débarque dans ma chambre lorsque je fais un cauchemars. Je veux que papa me raconte ses aventures avec son frère sur son enfance, ses souvenirs de Spring-Garden. Je les veux près de moi. Je veux par dessus tout que cette souffrance se taise. Je veux revoir le sourire de matin. Je veux me réveiller en me disant qu'aujourd'hui est un bon jour. Je ne veux plus avoir peur du noir. « Psst ! » Je tourne la tête. Une ombre entre dans ce qui est « ma chambre » il se la joue félin pour arriver jusqu'à mon lit. Prenant grand soin de ne réveiller personne. « Tiens. » Il me tend un truc, je n'arrive pas à identifier ce que c'est. « Ça m'aide le soir quand j'arrive pas  dormir. Papy dit que ça fait d'moi un gamin, mais je m'en fous. J'pense que ça fait d'moi un super héros. T'sais que Batman avait peur des chauves souris, ça l'a pas empêché de devenir l'homme le plus riche de Gotham et accessoirement l'un des meilleurs super-héros, sans pouvoirs ! » Je regarde l'objet, puis Troy, mon cousin. Le fameux cousin dont j'ai entendu, mais dont j'ai toujours ignoré l'existence. Il paraît qu'on a dû se voir une ou deux fois durant notre jeunesse. Pas de souvenirs. Depuis mon arrivée ici, il est au petit soin pour moi, si on peut dire ça. Il est pas méchant à l'inverse du morveux. « Tu veux que je reste un peu avec toi ? » Je vois bien dans ses yeux qu'il veut m'aider. Il pourrait se moquer de moi, c'est vrai quoi, j'ai quatorze ans, je ne suis plus en âge d'avoir peur la nuit. Pourtant je tremble comme une feuille. J'hoche la tête. Je sais que je ne parle pas beaucoup, mais j'y arrive pas. Je ne suis pas encore près à m'ouvrir à cette nouvelle vie...

« Hey le newbi ! » Hein ? Je tourne la tête, c'est à moins qu'on parle ? Une tornade brune s'avance vers moi. Elle plante son regard dans le mien. « Oui j'parle bien d'toi ! J'ai b'soin de ton aide. » Euh… elle doit forcément faire erreur, je ne vois pas en quoi je peux l'aider. Non, mais je suis là que depuis une semaine voir deux, je ne sais plus trop. Je n'ai pas le temps de réagir qu'elle m’entraîne à l'extérieur de la classe. « Tu parles pas ? T'as perdu ta langue ? » Elle me pose dans un coin. J'ai l'impression d'être un objet. « J'ai remarqué que tu disais pas grand-chose en cours. T'as quoi ? T'es sourd ? Mon père m'a déjà parlé de cette maladie. Fin t'sais j'm'en fous ! » Elle est un peu, voir beaucoup bavarde. « Je t'ai vu hier, tu traînes souvent près du lac. » Flippante en plus de ça ! « C'est pas la première fois que j't'y vois, t'es souvent avec un grand, comment il s'appelle déjà ? Fin l'abruti du village comme dis le paternel ! » Je pense qu'elle parle de Troy, c'est vrai qu'il n'y met pas vraiment du sien pour se comporter comme n'importe quel adolescent, mais je trouve ça cool. « Fin bref, j'ai b'soin toi pour mon projet ! J'peux pas demander à mes frères, sont soit trop jeune ou trop coincé ! Fin surtout l'aîné, les deux autres sont petits et servent qu'à faire des conneries. T'as des frères et sœurs ? » Elle parle vraiment trop ! Beaucoup trop ! Elle plante à nouveau son regard dans le mien. « Tu peux parler hein ! J'vais pas t'manger ! » Elle me fixe de plus en plus. « C'est marrant, ta un regard différent. T'es différent ! Jt'aime bien ! » Son visage n'est qu'à quelque centimètres du mien. Je peux voir son regard, ses yeux chocolats, comme ceux de maman. « Si je t'embrasse, tu parles ? » J'ouvre grand les yeux et me recule d'un coup. « Non ! » « Ah bah voilà ! Tu as parlé ! » Elle a ce petit sourire en coin, fière de ce qu'elle vient de dire. Elle s'avance vers les balançoires. « C'est quoi ton prénom newbi ! » « Charly et toi ? » Je viens m'asseoir à côté d'elle. Je ne peux plus me taire à présent, de toute façon avec elle, je crois que le mot silence est à bannir. « Dylan. Ouais j'sais c'est un prénom d'mec, mais mes parents ont eu la lubie d’appeler tous leurs gamins par un prénom en D. Imagine ! Là on a Dwight, Declan, Destiel, Dahlia et Dorothy et puis moi. Tu vois l'genre. » J'hôche la tête, ça doit pas être une famille comme les autres. « Et toi ? » Je pose mon regard sur elle. Moi ? Moi j'ai rien de tout ça. « J'ai pas de frère et sœurs, j'ai deux cousins Troy et Benny, d'ailleurs c'est avec Troy que je traîne souvent au lac. » Elle se balance et j'en fais de même. « Tu sais pas c'que tu rates ! Tu veux bien m'aider alors ? » J'hésite ! « Tu le regretteras pas ! » En même temps, j'ai pas l'impression qu'elle me laisse le choix ! « Si tu veux ! » « Cool ! Tu gères, j't'aime bien Chucky ! » J'ouvre la bouche, mais non, mamy m'a dit qu'il fallait que je m’intègre. J'ai mon premier surnom, je ne vais pas me plaindre. « Au fait, j'sais pas comment j'dois le prendre. » Je la regarde, fronçant les sourcils, je suis un peu perdu. « De quoi ? » « Bah tu veux pas m'embrasser ! » Oh ! « T'en fais pas, je trouverai ton secret Chucky ! » Elle me fait un clin d'oeil et moi je souris, sûrement comme un abruti, mais ça fait du bien.

Hum… c'est quoi ça. Ah oui je sais. Je repousse son pied. J'ouvre difficilement les yeux. Là c'est dur. Je ne peux pas bouger. Il faut dire que je ne suis pas seul. Pour cause, elle est étalée dans mon lit, telle une étoile de mer. Et elle ronfle ! Super ! Je repousse son bras. Mes yeux se perdent sur son corps. Elle est juste vêtue d'un tee-shirt à moi et d'un boxer. Simple, mais tellement sexy. Je ne peux  pas le nier. Sa peau frisonne doucement vers ses fesses, ainsi que sur ses bras. Elle bouge un peu. Me donnant un coup dans le tibia au passage. Je reste là, la fixant, l'admirant plutôt. Ce n'est pas la première fois que Dylan dort à la maison, depuis qu'on se connaît, soit depuis trois ans maintenant, elle vient au moins une à deux fois par semaine dormir ici. Papy et mamy l'adore. Au début, ils voulaient nous séparer, mais au matin, ils nous retrouvaient ensemble. Ils ont finis par comprendre que ça ne servait à rien. Dylan revenait toujours dans mon lit, ou j'allais la rejoindre dans la chambre d'amis. C'était inévitable. C'était différent. Là elle m’apparaît pour la première fois différente. Oh non ! Tout sauf ça. Pense à autre chose. Au facteur. Au chat de la voisine. Ouais voilà ! Quand je dis que ce réveil est différent des autres. Je n'ai jamais ressenti ça. Elle bouge un peu, se retourne et finit par poser sa main sur mon torse. Je pose mon regard sur sa tête. J'adore la voir dormir. Elle est si sage, calme, fragile à la fois. J'aimerai bien être dans sa tête pour comprendre ce qu'il se passe. Savoir ce qu'elle pense ou à quoi elle rêve. Je sais qu'elle me dit tout, mais explorer son subconscient serait fascinant. Faut que je me rendorme, je vais pas bien. Aie ! En plus elle me donne des coups. « Dors ! » Et merde ! « Arrête de me fixer et dors, j'suis pas prête à me lever. » Elle arrive décidément toujours à me surprendre. « J'peux pas, le monstre m'appelle ! » Elle ouvre un œil, puis deux, s'étire un instant avant de se retourner pour voir l'heure. « T'es sérieux ? » J'en profite pour me lever, urgence masculine ! « Bah ! » Ouais je l'abandonne, je lui dis pas où je vais, mais je pense qu'elle a compris. Je m'y attendais pas. Putain qu'est-ce qui débloque chez moi. On parle de Dylan, elle est ma meilleure amie, celle qui a toujours été là pour moi. Bien sûr que je la trouve jolie, mais je suis pas disponible. Tout comme elle. Et puis nous sommes juste amis, les meilleurs. Je ne dois pas la voir autrement, faut que je chasse ses idées d'ma tête. La porte s'ouvre. Je me plaque contre le mur. « Tu permets, je prends la douche en première ! » Ce n'est pas comme-ci j'avais franchement le choix. Le tee-shirt m'arrive sur le visage. Ça c'est fait ! Bon on se contrôle. Je remonte mon boxer. Garde le tee-shirt dans ma main. « J'te retrouve en bas ! » Et hop on sort ! Là ce n'est pas le moment de la voir à moitié nue. Je sais que de base ça me fait rien. Tout le monde nous trouve d'ailleurs bizarre pour ça, ils disent que notre relation n'est pas normal. Nous on s'en fout. On sait ce qu'on est ! Ça doit être qu'une passe. Ouais c'est ça !

« Bon parlons bien, parlons peu, elle est comment ? » Troy plante son regard dans le mien. Je repose mon sandwich. Il me parle de quoi ? Il a l'air super sérieux en plus, ce qui est intriguant. Lui sérieux ? Je ne dis pas que ça n'arrive pas, mais c'est rare. Très rare. Je peux compter sur les doigts de la main. Même avec moi il ne l'est pas, pourtant il pourrait faire mieux, fin bref ! Là n'est pas la question. « De quoi tu parles encore ? » « Bah toi et la brune, comment qu'elle s'appelle déjà ? » « Dylan. » « Ouais c'est ça, vous êtes passé à l'acte ? » Il va franchement pas bien. Je me demande même s'il est attiré par les nanas. Il m'a jamais présenté de nana, du moins à titre officiel. Des écureuils, ou tout autre animal, il m'en a présenté, mais pas de nanas. « C'est ma meilleure amie, tu l'sais bien ! » « Et alors ! T'as vu comment elle est... » Il s'arrête. Je n'attends qu'une chose, qu'il finisse sa phrase. Qu'elle est quoi ? Il le voit à mon regard. « Tu vois parfaitement ce que je veux dire, fais pas genre t'as pas compris, parce que j'sais que t'as compris ! » Je lève les yeux au ciel et mange mon sandwich. « C'est qui ça ? » Il montre mon bras, ou plutôt mon bleu. « Benny. » « Encore ? » J'hôche les épaules. Je suis habitué à présent aux remarques de Benny et à son comportement violent. « C'était quoi son motif ? » « J'suis resté trop longtemps devant la tv, c'était soit disant à son tour. » La suite il la connaît. Benny ne peut pas m'encadrer, je le sais et je n'en pense pas moi. Dès le premier jour, il m'a fait comprendre que ma place n'était pas là. Je lui en veux pas. Il doit être jaloux, il pense que je lui vole Troy. Ce qui est faux, c'est lui qui vient vers moi. « J'lui parlerai, il peut-être con parfois. » Oh ça oui, mais bon apparemment c'est de famille. « Attend de voir son visage. » Troy ouvre grand les yeux. « Et ouais, mamy m'a privé de sortie pour le mois ! » J'avoue que sur le coup, je n'y suis pas allé de mains mortes, mais il l'a cherché ! Il fait que ça de me provoquer. Il sait que je finis par rentrer dans son jeu et comme d'habitude, je me fais avoir. La violence ne résout rien qu'elle dit mamy, mais en attendant ça fait du bien. « Ouais bah toi t'as une infirmière super sexy. » Et voilà qu'il recommence, il est pas chiant. « Mange ! » Je lui balance des chips à la gueule ! Il est sacrément chiant en plus d'être con !

Je ne peux pas m'arrêter. Ma jambe tremble. Elle bouge toute seule. Les deux devraient-je dire. J'ai besoin de savoir. Je passe pour la énième fois mon visage dans mes mains. J'ai tellement peur. J'aurai dû le voir plus tôt. J'aurai dû m'en rendre compte. J'ai été si focaliser sur ma vie, sur mes études. J'ai rien vu. Ce mec, lui si je l'attrape. Il est mort. Et ces gens. Ceux que j'ai vaguement entendu parler, mais jamais rencontré. Je l'ai abandonné. C'est ma faute si elle est là. « Charly.. » Je lève la tête direct, sa mère se tient là. Mon corps se raidit. Non pas ça. Je me le pardonnerai jamais. Jamais ! Je m'avance vers elle. Elle n'ose pas me regarder. Je ne supporte pas ce silence. Ils me tiennent à l'écart depuis son arrivée ici. J'ai le droit de savoir. Je les ai prévenu. J'ai été le premier sur les lieux. Je mérite de savoir. Je la connais mieux que quiconque dans cette pièce. Je sais qui elle est vraiment et ce qu'elle aspire à être. Eux ne voient que ce qu'ils désirent voir. Ils ne la connaissent pas comme moi je la connais. Je sais lire dans ses yeux, je sais à quoi elle pense… Du moins j'ai su tout ça. Je sais que ça reviendra. Je m'en veux déjà de n'avoir rien vu. Je sens les larmes couler le long de mon visage. Bon sang, mais qu'on me dise un truc. « Charly … tu... » Oh non ! Je la vois venir. Je sais d'avance ce qu'elle va me dire. Hors de question. Je lui tourne le dos et retourne vers mon fauteuil. « Charly rentre chez toi. » Sûrement pas ! Je resterai là, jusqu'à ce qu'on m'autorise à la voir. Je veux lui tenir la main, je veux être là pour elle. Je lui dois ça ! « Charly ça ne sert à rien, il ne t'y autorisera pas. » Je croise son regard. Je sais parfaitement de qui elle parle, de ce père, si on peut appeler ça un père. Il ne m'a jamais aimé. Pourquoi je n'en sers rien. Je pense que ça à un lien avec Troy. J'en ai rien à foutre qu'il m'aime ou pas. « Je veux la voir ! » Je ne baisse pas les yeux. Je ne céderai pas. Il n'a aucun droit sur moi. Il ne peut pas me dire ce que je dois faire ou pas. Elle baisse les yeux, elle cède et finit par rentrer dans la chambre. Me refermant la porte au visage. Putain ! Je tape dans le mur à côté. J'ai besoin de sortir. J'ai besoin de la voir, j'ai besoin de savoir. Les médecins ne me disent rien. Ils n'ont pas le droit, c'est tout ce qui savent dire. « Elle va s'en sortir. » Une main se pose sur mon épaule. Je renifle et tourne la tête. Elle est obligée de s'en sortir. Elle n'a pas le droit de m'abandonner. Pas elle. « Elle va s'en sortir ! » Pour la première fois, il me parle sérieusement. Il m'attrape par l'épaule. « T'as besoin d'un café, c'est moi qui régale. » J'ai besoin de savoir. « J'ai peur... » Je ferme les yeux un instant. L'histoire ne dois pas se répéter. Je ne peux pas. Je ne veux pas. Je la veux près de moi, je veux sentir son souffle dans ma nuque. Je veux entendre son rire. Je veux qu'elle m'appelle encore une fois Chucky. Je veux qu'elle soit là ! « Elle va se réveiller et tu pourras lui dire tout ça. » Je m'en veux tellement de l'avoir abandonné. « J'ai b'soin d'elle... » « Je sais.. je sais bien et tu l'auras ! » Il a l'air si sûr. Il m'attire en dehors de ce couloir. Je n'en serai pas plus tant qu'ils sont là. Je devrais être là moi aussi, je devrais être avec elle...

Charly tu vas faire quoi de ta vie ? J'ai enfin ma réponse. Ou plutôt mon diplôme. Ça ne sert à rien que je continue là dedans. J'aspire à autre chose. Je veux voyager. Je veux aider. Je regarde ma chambre, pour la dernière fois. Il est temps de grandir. « Je t'ai fait un sandwich. » Mon sourire s'agrandit. Elle est toujours prévenante avec moi. Toujours là. Je me revois y a quoi, dix ans maintenant, lorsque j'ai franchi les pas de cette chambre pour la première fois. Elle m'avait fait un gâteau à l'époque. Tout me paraît si loin et tellement proche à la fois. « Tu me donnes de tes nouvelles et fais attention à toi. » « Promis. » Je la serre un peu contre moi. Je sais qu'elle n'approuve pas mon idée, qu'elle va s'inquiéter dès que l'avion aura décollé, mais ça l'empêche pas de m'encourager. C'est mon choix et elle le respecte. J'attrape mon baluchon, mes clefs et c'est parti ! « Alors beau gosse, t'as vraiment cru qu'tu pouvais partir ainsi ? » Elle se tient là. Juste à côté de la femme de ma vie. Oui ma moto est la femme de ma vie. Ses fesses à couder Betty, prenant bien soin de pas l'habiller. Mon sourire s'agrandit en la voyant, comme toujours. Je pensais pas qu'elle serait là. J'y ai songé, mais je sais qu'elle a dû mal à accepter mon départ. Comme à peu près tout le monde dans cette ville. Troy boude dans son coin, d'après lui je l'abandonne. Benny trouve mon idée cool et m'a encouragé. Étrange comment nos rapports ont changé ces derniers jours. On n'a plus envie de se taper dessus, mais juste de parler et de rire. Plutôt cool. « Un dernier tour ? » Je lui tends son casque. Elle hésite et l'accepte. Je place mon sac sur l'arrière. Elle se colle à moi. Le fait de la savoir si près de moi, me réconforte. Je sais que ça ne va pas s'arrêter à mon départ. On est bien plus fort que ça. Je sais qu'elle m'en veut de partir, mais qu'elle accepte. Elle sait que rien ne va changer entre nous. On est bien plus que ça, on a vécu pire. Ses mains se serrent contre mon torse. Elle me serre plus fort que d'habitude. « Pour toujours. » qu'elle finit par me glisser à l'oreille. Sa tête se pose sur ma tête. On se laisse porter par le vent. Je me sens bien. Je suis à la fois libre et attaché. Libre dans mes envies, attaché à elle. Elle est mon roc, mon tout. Je ne pourrai pas l'abandonner. Jamais. La route se dessine et plus l'aéroport se dessine, plus je diminue. Je retarde ce moment. On a encore du temps. Je dévie la route, prenant un petit chemin que nous deux connaissons bien. Elle se redresse pas, ne dit rien. Ma Betty finit sa course, elle ne se décolle toujours pas de moi. Telle une moule à son rocher. Je penche ma tête en arrière, nos casques se touchent. « Toujours ! » Elle finit par se redresser. Je descend de Betty et se bras m'encerclent en si peu de temps. Je l'encercle à mon tour. Je savais que le plus dur dans l'histoire, serait de la quitter elle. J'en étais conscient, j'avais imaginé tous les scénarios et à chaque fois ça faisait mal. Je pose mes lèvres sur son front. Pas besoin de mot entre nous, là qu'est toute la magie de notre lien. Elle relève les yeux, son regard se pose sur moi. J'ai l'impression de revivre notre rencontre. « Si je t'embrasse, tu restes ? » Je sens mon cœur se contracter, une larme coule le long de sa joue. Je l'essuie avec ma main. Je penche mon visage et dépose mes lèvres sur les siennes. Elle ne fait rien. Ne tente pas de me repousser. Nous étions pourtant d'accord sur ça : nous avions loupé notre chance. Je finis par me détacher d'elle. « Toujours ! » Finis-je par lui dire. J'attrape sa main et on se dirige vers notre petit banc. Notre petit endroit, rien qu'à nous. Je vais devoir quitter tout ça dans quelques heures. Pour l'heure je préfère me focaliser sur elle. Rien qu'elle.

Et voilà mail envoyé. Mes billets sont réservés. Bon je n'ai plus qu'à faire deux trois courses et c'est bon. Faut pas que j'oublie ma conversation Skype avec Dydy ce soir. Elle a apparemment une merveilleuse nouvelle à m'annoncer. Je m'attends à tout venant d'elle. Il faut aussi que je pense à envoyer la liste de lecture à Benny et de films pour Troy. Trop de chose à faire en si peu de temps. Et malheureusement l'horloge tourne plus vite qu'on pourrait le croire, si elle pouvait s'allonger quelque fois. Bon je vais arrêter de délirer et aller faire mes courses. Ça me serait plus utile. Mes clefs et je suis parti. Il me faut pas grand-chose, vu que je repars dans quelques jours. Le strict nécessaire. Mes pas se stoppent un instant. Je connais cette silhouette. Elle me rappelle quelqu'un, seulement ça ne peut pas être possible. Non ça ne peut pas être lui. Je dois rêver. Je dois le confondre avec un autre. Je tourne la tête et me dirige vers la supérette. Le soleil me tape sur la tête. Ou alors je deviens fou, mais vraiment. Quoique ? Ouais, non. Bon voilà ! « Charly ? » « Declan ! » Oui alors non je n'ai pas rêvé. On se dévisage un instant avant de se prendre dans les bras. « J'ai donc pas rêvé, mais qu'est-ce que tu fous là ! » Si je m'attendais à voir un Shurley à Atlanta ! Absolument pas. Pas faute d'avoir venté les mérites de la ville à Dylan, mais non elle préfère Spring Garden et son charme. Fin elle préfère surtout, l'autre brun, j'ai perdu son prénom, mais on s'en fout. Je suis content pour elle, vraiment, mais j'ai une mémoire sélective. Là n'est pas la question. Declan fuit mon regard, je le dévisage un instant. Le sac, les gants, le pantalon retroussé. Minute papillon. « Toi tu as des choses à me dire, viens je te paye un café ! » Je vois dans ses yeux qu'il hésite et puis attrape son sac. Il se fait pas prier. Un peu de chaleur. Et puis le courant est toujours passé entre nous. Il m'a toujours qu'il ne voyait que moi pour sa sœur. Il sait que je tiens à elle. « Par contre... » Je tourne la tête vers lui. « Pas un mot à Dylan ... » Je comprends dans ses yeux.  Je lève ma main. « Affirmatif.  Tiens ça me fait penser, j'pars à nouveau jeudi, si tu veux squatter chez moi. » Je sors ma clef. Il la regarde, puis moi. « T'sais histoire d'arroser les plantes, de manger ma bouffe pour pas qu'elle pourrisse. Les futilités, tu vois l'truc. » Il hésite un instant. Il sait que j'ai compris sa situation. Il sait que je n'ai pas pitié de lui. « Vois ça comme un job, fin une bonne action, tu m'aides à faire vivre mon appart ! Et rassure toi, j'dirais rien à comment qu'elle s'appelle déjà ?» Declan s'esclaffe! « Le jour ou tu oublieras son prénom, c'est pas une tornade qu'on va avoir, mais une invasion ! » Je rigole à mon tour. Il n'a pas tort, mais tous les deux on sait où je veux en venir !

« Alors là tu m'épates ! » Je tourne la tête, Troy déboule vers moi. Je bois une nouvelle gorgée. « Tu as arrêté un mariage, non tu as arrêté SON mariage ! J'pensais pas que tu le ferais, là j'dis chapeau ! » Je lève les yeux au ciel. Je pensais pas le faire aussi. Seulement… c'était plus fort que moi. Elle ne pouvait pas l'épouser lui, ce n'est pas lui qu'il lui faut. C'est moi ! Je sais qu'il m'a fallu autant d'année pour ouvrir les yeux. Pour comprendre que la seule, c'est elle ! Ça a toujours été elle et je m'en rends compte… bien trop tard ! Elle n'a rien dit. Je revois son regard. Elle m'a regardé, puis lui, puis moi, puis elle est partie. Elle a pris la fuite. Elle nous a tous laissé en plan. « Et un nouveau pour ta collection. » Il regarde mon coquard, je serre les dents, cet enfoiré n'y est pas allé de mains mortes. Bon je le méritais amplement. « En même temps, tu l'as bien cherché ! » Il attrape le bouteille et se place en face de moi. Il défait lui aussi son nœud de cravate. « J't'avais dit dès le début que c'était une mauvaise idée. Tu pouvais pas être la demoiselle d'honneur. D'abord parce que c'est un rôle pour d'nanas et qu'ensuite votre relation n'a jamais été claire ! Tout le monde le sait, excepté vous ! Y a que vous pour pas captez que vous êtes fait l'un pour l'autre. » Attention le sage parle ! Il me tend la bouteille. Il n'a pas tort en même temps. Il m'aura fallu, plus de quinze ans, pour comprendre que la seule nana qui me fasse vibrer, c'est elle ! Certes on a déjà eu des chances, mais on a toujours dit non. Soit ce n'était pas le bon moment. Il y a eu les autres, puis sa cure, puis mon départ. On a fait avec, nous étions pas fait pour être ensemble. On avait accepté ce choix, mais on s'était promis d'être toujours là et que rien ne changerait. J'avais beau être à l'autre bout de la terre, elle savait me faire revenir en claquement de doigt. Elle a été là pour moi après la mort de papy, tout comme j'ai été là pour l'aider à se relever. On ne s'est jamais abandonné. « Tu vas faire quoi ? » Je bois à nouveau et regarde Troy. C'est une putain de bonne question ! J'étais revenue pour son mariage, pour l'aider à tout organiser. On a dû faire ça en vitesse. Je n'avais pas prévu de revenir pour toujours, mais là. Là … Je ne peux pas laisser les choses ainsi. Je ne peux pas lâcher une bombe et partir en courant. Je dois assumer mes actes et puis… je ne pourrais pas partir sans elle. Impossible. Je ne ferais plus cette connerie. « En tout cas, tu as bien animé la cérémonie. Moi qui croyais que tu étais capable de dire je t'aime qu'à un chien et bien tu m'as bien surpris ! » Je souris à sa remarque, on dirait Dylan. Elle m'a toujours sorti cette réplique, que j'étais incapable de dire ce que je pensais à une femme. Que j'étais instable, en même temps, vu ma vie, je me voyais mal entraîner quelqu'un là dedans. Je n'avais jamais trouvé LA personne qui serait me gardé, celle qui m'attacherait. Ce que je peux être con, je l'avais sous les yeux durant tout ce temps, j'étais déjà attaché ! J'avais tout et j'ai rien vu… « J'vais rester. » Les yeux de Troy s'illuminent. Je vois ô combien cette réponse lui plaît. « Et moi j'vais t'aider à la reconquérir ! » Euh… on se regarde et on rigole. « Ou pas ! » « Ouais fin on s'est jamais je peux avoir une once de brillantisme ! » Ouais, on repassera pour ça ! Il vient se poser à côté d'moi. « La fine équipe est de retour, ça va envoyer du lourd ! » Il attrape la bouteille et bois cul sec ! « N'empêche que tu gagnes de l'avance, j'ai jamais arrêté un mariage ! Franchement là, bravo ! En plus la tête de son père … Là clairement tu es devenu l'ennemi public numéro uno ! » Oh ça oui ! Je vais me faire détester, mais tant pis, c'était le prix à payer. Je l'aime ! Je suis fou d'elle, je l'aime et c'est ainsi !